Pour disposer des pommes sur
un étal, les marchands de fruits adoptent « naturellement » un
rangement : une pyramide régulière à base triangulaire. Une équipe
franco-allemande, impliquant notamment le Laboratoire de physique des solides
(Université Paris-Sud/CNRS), vient de démontrer que cette disposition est
privilégiée pour des raisons de stabilité mécanique. Ces travaux sont publiés
sur le site de Physical Review Letters (PRL). Ils pourraient intervenir dans la
conception de matériaux poreux organisés.
Prenez des pommes ou bien des
billes. La manière la plus optimale de les empiler consiste à édifier une
pyramide couche par couche, ce qui garantit de caser le maximum de sphères dans
le minimum d’espace. Plusieurs arrangements existent pour ranger de telles
sphères identiques (et de même volume) avec la meilleure et même densité. Deux
sont particulièrement connus : un arrangement dit cubique face centrée
(CFC) dont la base est nécessairement un triangle pour la plus petite pyramide
possible, et un empilement hexagonal compact (HCP) dont la base est hexagonale
lorsqu’on édifie également la plus petite pyramide possible. La première
disposition consiste en une répétition périodique de trois différentes
positions de couches : ABCABC… Dans la seconde, deux différentes positions
de couches sont répétées périodiquement : ABABAB... Dès 1611, en étudiant
l’empilement de boulets de canon, le scientifique Johannes Kepler avait proposé
l’arrangement CFC comme étant le plus efficace. Il s’agit d’ailleurs de celui
adopté par les marchands pour empiler leurs fruits et légumes.
© S. Heitkam
Empilement dit cubique face
centrée (CFC ou FCC en anglais) dans laquelle la même disposition de couches se
répète toutes les trois couches.
© S. Heitkam
Empilement hexagonal compact (HCP) dans laquelle la même
disposition de couches se répète toutes les deux couches.
De plus, l’empilement CFC s’avère être celui qui perdure
dans le temps au détriment de HCP, notamment lors de la formation spontanée
d’empilements de bulles, gouttes ou grains solides de volume égal. Pourquoi une
telle préférence alors que les deux structures garantissent la même
compacité ? Telle est la question à laquelle les chercheurs se sont
attelés. L’une des explications avancées jusqu’à présent était un désordre (ou
entropie) plus élevé dans un empilement CFC que dans une disposition HCP. Mais
cet argument, qui pourrait être vrai pour de très petits objets de taille nano-
ou microscopique, n’est plus correct pour des objets macroscopiques tels des
bulles ou des gouttes.
Les chercheurs ont réalisé simulations numériques et
expériences avec des sphères macroscopiques de différentes tailles (supérieures
à 10-6 mètres). Après avoir lancé de telles sphères dans une
boîte, ils ont observé comment se formaient les empilements, puis ont fait
subir au système des tests mécaniques. Les chercheurs ont mis en évidence que
les deux arrangements CFC et HCP se formaient avec la même probabilité.
Cependant, l’empilement hexagonal compact est plus fréquemment détruit lors de
l’arrivée de nouvelles sphères. Il est alors converti en une structure cubique
face centrée plus stable. C’est ainsi qu’ils ont démontré que cet arrangement
CFC était mécaniquement bien plus stable que toutes les autres structures
hexagonales compactes. La raison ? A la surface d’un empilement pyramidal,
quelques voisins manquent1. Dans les structures CFC, les forces
étant transférées via des lignes droites, cela ne provoque pas le déséquilibre
du système. En revanche, dans les autres empilements, il existe une force
résultante, vers l’extérieur, appliquée sur les sphères situées aux bords, qui
les pousse en dehors de l’empilement.
Si cette force n’est pas compensée par une force de gravité
ou un frottement suffisant, la structure HCP s’effondre. Ainsi, une pyramide
comportant quatre couches de sphères sans frottement, selon un arrangement HCP,
peut déjà s’écrouler sous son propre poids. A contrario, on peut continuer à
empiler indéfiniment les couches dans une structure CFC. Des phénomènes
extérieurs, comme une agitation ou le passage empressé de personnes à proximité
de l’édifice, peuvent déstabiliser la structure HCP, et dès lors favoriser la
formation de l’arrangement CFC. Les scientifiques étudient désormais si ce
mécanisme intervient dans d’autres conditions : cisaillement de l’édifice,
utilisation de sphères « molles »… Il jouerait un rôle significatif
dans certains matériaux poreux organisés en réseaux réguliers.
1 Au sein d’un empilement complet (qui
occuperait l’ensemble du volume d’une boîte), cela ne joue aucun rôle :
toutes les forces sont compensées par les sphères voisines.
Reference: http://www.cnrs.fr/inp/spip.php?article797
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